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Le «Cercle» de Zürich enthousiasme la Berlinale

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Hier soir, le réalisateur zurichois Stefan Haupt s’est excusé, avant la projection, du résultat de nos votations, en remerciant la Berlinale de l’accueillir, lui et son dernier film, avec les honneurs, au sein de la prestigieuse sélection du Panorama. Ce d’autant plus que son film, Der Kreis (Le Cercle) parle justement d’exclusion et met en scène, entre documentaire et fiction, quelques pages peu reluisantes de notre rapport avec les homosexuels.

Le film raconte l’histoire d’amour assez extraordinaire de Ernst Ostertag et Röbi Rapp, deux gays qui se sont rencontrés à Zürich à la fin des années 1950 et sont restés ensemble jusqu’à aujourd’hui. Ils se sont connus grâce au Kreis, un cercle homosexuel créé durant la deuxième guerre mondiale qui publiait une revue et organisait régulièrement au Theater am Neumarkt un bal LGBT (comme on dirait aujourd’hui) très couru. Ernst, fils de bonne famille zurichoise, travaille comme enseignant dans un collège de jeunes filles et cache son identité sexuelle à la fois aux siens et à ses collègues. Venu d’une pauvre famille allemande émigrée, Röbi, un jeune coiffeur qui aime se chanter et se déguiser en femme fatale au cabaret, est par contre soutenu par sa mère qui lui taille de flamboyant costumes.

Dans le film, Röbi et Ernst racontent leur histoire à la caméra, en alternance avec des moments de fictions où leur existence est rejouée par des acteurs – mais avec leurs conseils. Très habilement, avec beaucoup de sensibilité, le réalisateur mélange la fiction, le documentaire et les documents d’archives, tant et si bien que l’on s’y perd parfois, et qu’on ne sait plus très bien à quel niveau de lecture nous sommes. Jusqu’à ce moment de cinéma parfait où l’on croit entrer dans l’appartement de fiction que les deux personnages ont acheté – et l’on entre en fait dans l’appartement où ils vivent encore tous les deux. Mais Der Kreis ne se contente pas seulement de raconter la belle histoire d’amour entre ces deux hommes. Il décrit, à travers l’histoire de ce cercle, l’attitude d’abord libérale, puis répressive de la police zurichoise à l’égard des homosexuels.

A la fin des années 50, Zurich est perçue comme un havre de paix pour la communauté gay. La Suisse ne criminalise pas l’homosexualité et Zurich apparaît comme un des endroits les plus libérés d’Europe. Suite à trois meurtres consécutifs au sein de la communauté homosexuelle (dont celui d’un fameux compositeur), au début des années 60, la police interdit les bals du Cercle, multiplie les descentes et les contrôles, met en fiche tous les homosexuels qu’elle rencontre, et se permet nombre d’humiliations de la pire espèce… Le Cercle est obligé de fermer, la revue ayant perdu énormément d’abonnés en raison des brimades policières. Ernst et Reto recréent alors en réaction une nouvelle revue en 1968… et se battront jusqu’à aujourd’hui pour garantir leurs droits et leur liberté. Ils seront le premier couple gay à se marier officiellement à Zurich en 2003.

Aujourd’hui que madame la Maire de Zurich Corine Mauch (qui vient d’être réélue) affirme sans problème son homosexualité, on se dit que les temps ont enfin changé. Mais quand on voit les réflexes de peur qui sont à l’œuvre dans les urnes (en dehors de Zurich et de la Romandie), on se dit qu’il y a encore du travail à faire. Et on ne peut que se réjouir du courage d’Ernst et de Röbi – et de ce film promis, je l’espère, à un brillant avenir.

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Mardi, 11 Février, 2014 - 00:56
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Lift14 - Technologie et jeux au quotidien

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HEAD – Genève, Sandra Pointet
HEAD – Genève, Sandra Pointet
HEAD – Genève, Sandra Pointet
HEAD – Genève, Dylan Perrenoud

Nicolas Nova & Daniel Sciboz

La conférence Lift14 s’achève tout juste, et chacun cherche une façon de résumer ces trois jours dédiés à l’innovation et aux cultures numériques. Sur la scène du Centre international de conférences de Genève (CICG), où s’est tenue la conférence, les organisateurs insistent sur l’évolution majeure de Lift : une ouverture croissante vers des pans entiers de la société. Si la manifestation qui a débuté en 2006 réunissait majoritairement les acteurs proches des technologies numériques (consultants, départements IT des entreprises, chercheurs), elle rassemble aujourd’hui une diversité croissante : politiciens, designers, artistes, futurologues, responsables d’incubateurs, avocats, etc. Tous présents pour écouter, comprendre et débattre de thématiques aussi diverses que l’économie de partage, les enjeux liés aux données personnelles, l’influence des algorithmes sur notre quotidien, l’importance du Do It Yourself et des FabLabs, le biohacking, ...

Ce changement témoigne de la manière dont le numérique s’est diffusé largement dans notre quotidien. Il montre également qu’il ne s’agit plus ici d’informatique mais bien de discuter des multiples façons dont les technologies de l’information et de la communication mènent à des enjeux singuliers.

Dans les champs plus proches de notre école, il est aussi intéressant de constater la manière dont les designers sont partie prenante de cette évolution. On s’en rend compte en écoutant des orateurs tels que Bracken Darell, PDG de Logitech, qui a insisté sur leur rôle dans la recherche d’innovation; ou avec Alexis Lloyd, directeur de création au New York Times R&D Lab qui a montré l’apport du design dans l’exploration de formats nouveaux pour les contenus du journal. Thomas Landrain, co-fondateur de La Paillasse, un laboratoire communautaire pour les biotechnologies citoyennes, a quant à lui expliqué la collaboration biologiste-designer dans des projets de création d’encre.

Les réflexions sur la place des industries créatives en Suisse ou les conférences abordant les formes émergentes de culture numérique ont aussi constitué des points forts dans la programmation de cette édition 2014. Les présentations de Ian Bogost, game designer et théoricien des médias au Georgia Institute of Technology ou de Dan Williams, «creative technologist» au Pervasive Media Studio de Bristol, ont exposé certains effets parfois curieux des interactions entre humains et machines les systèmes de communication en réseau pilotés par des programmes informatiques, mettant en lumière le rôle des algorithmes dans la production culturelle contemporaine. 

Partenaire académique de Lift depuis quatre ans, la HEAD – Genève présentait dans cette édition 2014 une exposition en écho à ces thématiques. Réunis sous l’enseigne d’un Musée des technologies rétro-compatibles, des  interfaces ou des jeux réalisés sous la direction de Douglas Edric Stanley dans l’orientation Master en Media Design, abordaient la pratique du gaming de façon inventive et quelquefois critique voire ironique. 

Deux diplômes de la promotion 2013 interrogeaient ainsi des problématiques telles que la neutralité d’internet ou l’immixtion des mécaniques ludiques dans la vie quotidienne. Intraland (2013) de Marion Bareil, son travail de diplôme Master en Media Design, aborde sous forme de jeu vidéo un sujet politique actuel: la neutralité du net, une notion garante de l’égalité de traitement des flux d’information sur internet. Ce jeu d’aventure en 3D se déroule dans un univers en apparence bienveillant, métaphore d’un réseau sous contrôle. Ce système clos, sous dictature, analyse, censure, voire réécrit les données générées par l’activité des habitants. Le but du jeu est de pirater Intraland au moyen d’instructions codées dans un langage de programmation interdit. Pour avancer dans le scénario, le joueur dispose d’un manuel d’utilisation d’Intraland. Sur ce document est imprimé à l’encre ultraviolette un Manifeste rédigé par des résistants, une notice pour reprendre le pouvoir.

PadPad (2013) développé par Jérémie Lasnier dans le cadre de son travail de diplôme Master en Media Design, est un coussin équipé de capteurs de mouvement et d’un module de communication sans fil, qui transforme la chaise sur laquelle il est placé en véritable contrôleur de jeu. Cette interface connectée à un ordinateur de bureau ou un console de jeu comme un périphérique ordinaire permet ainsi d'interagir avec n’importe quel jeu existant. PadPad permet d’imaginer de nouvelles formes de divertissement vidéo-ludique dans les contextes professionnel  ou domestique.

Une série de projets récents complétaient cette sélection. Ces propositions originales revisitaient certains thèmes marquants de l’histoire du jeu vidéo à partir de références artistiques choisies et de contraintes techniques strictes. Leur réalisation impliquaient l’apprentissage de méthodes de prototypage électronique ou l’étude de langages de développement avancés.

Radioactive Rail de Félicien Goguey, Sylvain Joly et Gaëtant Stierlin, est un «runner game» en vue subjective où le joueur doit échapper à un nuage radioactif qui menace de le rattraper. Graphiquement simple et abstrait, le joueur suit un parcours défini, un rail, qu’il ne doit pas quitter s’il ne veut pas tomber dans un vide sidéral. Le joueur contrôle un « joystick–vaporisateur » sur un boîtier surmonté d’une cible. Plus le joueur humidifie cette cible, plus il prendra de la vitesse dans le jeu. Il devra également incliner le joystick de gauche à droite s’il veut prendre les virages correctement, tout en gardant à l’esprit que sa vitesse déterminera son maintien sur le rail.

Endlessly(2013–2014) de Marion Tamé et Felipe Delgado Lopez qui est une borne d'arcade dans laquelle l’écran est constitué d’une bande de papier actionnée par un mécanisme robotique. Le joueur dispose d’un casque en guise de manette pour diriger une fusée et éviter les astéroïdes.

Ces travaux présentés à Lift offrent un aperçu de la manière dont le jeu vidéo est abordé dans l’orientation Media Design à la HEAD – Genève. Il s’agit d’une part d’encourager l’émergence de pratiques singulières de design susceptibles de faire évoluer les formes vidéo-ludiques et, d’autre part, de contribuer au discours critique attaché à cette forme culturelle majeure. La présentation par les étudiants de leurs travaux à l’occasion de la conférence Lift  est un moyen d’éprouver le résultat de leur travail dans le contexte d’un événement de portée internationale et d’initier des échanges avec des professionnels représentant de nombreux secteurs des domaines académique et économique.

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Mardi, 11 Février, 2014 - 13:01
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Au Forum de Meyrin, Dorian Rossel met en scène un "Oblomov" anémique

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Erika Irmler

Qui n'a pas rêvé, un jour, de s'immerger dans le sommeil pour fuir les tracas de l'existence? Fini les collègues mesquins, les administrations pusillanimes, les problèmes de cœur ou d'argent. Terminé les aspirations et les idéaux bafoués. On s'imagine plonger pour toujours dans un paradis cotonneux au parfum d'enfance. De mort aussi, bien évidemment, ce qui rend la décision d'emblée plus inquiétante.

Cette fuite radicale hors du monde et de la société, ce tragique empêchement à vivre, c'est tout le drame d'"Oblomov" de Gontcharov. Publié en 1859, ce grand roman de mœurs évoque les vaines tentatives de l'aristocrate Ilia Ilitch Oblomov pour sortir de son lit. Ni l'amour, ni l'amitié, ni les obligations sociales, ni la menace d'une faillite financière, rien ne pourra l'en tirer. Récit d'une dérive inéluctable et d'une paresse radicale, "Oblomov" reste totalement moderne, après avoir inspiré plus d'un intellectuel dont le philosophe Emmanuel Levinas et le psychanalyste J.P. Pontalis.

Porté à la scène, un tel personnage méritait un traitement à sa mesure. A sa démesure. On imaginait donc le metteur en scène Dorian Rossel sortant de ses schémas habituels – qui lui ont d'ailleurs valu de beaux succès – pour s'emparer à bras le corps de cet anti-héros quasi mythique. Il n'en fait rien, comme si se plonger dans l'âme d'Oblomov devenait par trop vertigineux.

Il en résulte une lecture sans parti pris affirmés qui laisse le spectateur sur sa faim. Hésitant entre un jeu réaliste et plus distancié, les comédiens se meuvent dans une approximation sans urgence ni nécessité, encore renforcée par des effets de dédoublement momentanés que rien ne semble justifier. Sobre, réduit à l'essentiel, le décor est élégant. Mais pourquoi y avoir installé un grand miroir mobile? Quant à l'accompagnement musical "home made", il dépare plus qu'il ne soutient le propos. Du spectacle, on retient quelques scènes, dont une très belle et juste évocation de l'enfance, ainsi que l'envie de se plonger sans délai dans le roman. Suffisant?

 

Meyrin (GE). Théâtre Forum Meyrin. Jusqu'au 14 février.

Renens-Malley. Théâtre Kléber-Méleau. Du 15 au 25 mai.  

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Mercredi, 12 Février, 2014 - 15:00
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Jean-Quentin Châtelain est Cendrars au Poche

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La solidité du verre, la fragilité de la pierre, la brillance sans artifice du métal brut. Magnifique! Debout, pieds nus, les yeux plongés dans l'au-delà des mots, le comédien Jean-Quentin Châtelain incarne jusqu'au bout des doigts Bourlinguer de Blaise Cendrars. Presque pas de gestes, des silences tendus, la capacité à faire être et vivre sans rien jouer: un somptueux voyage immobile dans les souvenirs et les paysages italiens.

Publié en 1948 - Cendrars a alors 61 ans -Bourlinguer se compose de onze chapitres aux noms de ports. Le metteur en scène Darius Peyamiras et Jean-Quentin Châtelain ont choisi Gênes, mais le passage retenu se passe à Naples. Cendrars y raconte comment, à 20 ans, mal en point, fatigué, perdu, il est revenu sur les hauteurs du Voméro, les lieux de son enfance et de l'époque où il se livrait au dressage des escargots avec la petite Elena, sa complice d'aventures et de jeux, morte, tuée par un chasseur. Le récit est flamboyant, baroque, capricieux comme un chemin de montagne. Un épanchement volubile et parfois douloureux que Jean-Quentin Châtelain porte avec force et finesse, sans pathos ni mièvrerie. Du tout grand art!

 

"Bourlinguer" de Blaise Cendrars. Mise en scène: Darius Peyamiras. Jeu: Jean-Quentin Châtelain.

Genève. Théâtre Le Poche. Jusqu'au 2 mars.

Lausanne. Théâtre Vidy-Lausanne. Du 5 au 23 mars.

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Vendredi, 14 Février, 2014 - 15:30
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Palmarès de la Berlinale : une belle synthèse

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Présidé par le producteur indépendant américain James Schamus, le jury de la Berlinale a réussi, hier soir, à offrir au Festival un excellent palmarès qui résume à merveille cette 64èmeédition. S’il n’est jamais facile de faire le jury, il est d’autant plus difficile de le faire à Berlin. Car généralement les compétitions officielles de ce festival n’ont pas la cohérence, l’audace ou la finesse de manifestations plus «auteuristes» comme Cannes, Venise et Locarno. Résultat, la sélection est presque toujours un fatras de compromis divers, avec un fort accent mis sur le politique ou la thématique des films, et quelques perles qu’il faut savoir extraire de l’ensemble. On se souvient des prix récents à Cesare deve morire des frères Taviani, de Tabu de Miguel Gomes ou du Cheval de Turin de Bela Tárr. En décernant cette année son Ours d’Or – et le prix du meilleur acteur – au film chinois Black Coal, Thin Ice de Diao Yinan, le jury a probablement signalé l’une des œuvres les plus singulière de cette manifestation, où deux autres films chinois briguaient la récompense suprême. Blind Massage du très officiel Lou Ye, qui a reçu le prix de la meilleure image (ah bon?). Et No Man’s Land de Ning Hao, sorte de western-spaghetti à la façon pékinoise, qui ne valait pas grand chose.

Black Coal, Thin Ice est en apparence un film noir des plus classiques. Un corps humain taillé en pièces est retrouvé dispersé aux quatre coins de la région (le Nord de la Chine), dans des camions ou des wagons transportant du charbon. L’enquête s’enlise et provoque la mort de plusieurs policiers. Le flic en charge du dossier se retrouve blessé dans la fusillade et doit quitter la police sans jamais avoir résolu cette enquête. Quelques années plus tard, devenu responsable de la sécurité dans une usine, différents meurtres similaires réveillent sa curiosité. Avec un de ses anciens collègues, il reprend le fil de sa recherche, sans se rendre compte que les apparences sont souvent trompeuses…

Réalisé froidement, sans effets de manche, Black Coal, Thin Ice joue sur ce contraste entre le noir du charbon et le blanc de la glace comme pour dire un monde que l’on peut lire en noir et blanc, avec d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Mais si l’on gratte un peu la surface, on réalise bien vite que la réalité est bien plus complexe. Comme ces morceaux de cadavres cachés dans le charbon ou sous la glace, le film montre aussi, derrière le polar, la vie quotidienne plutôt triste d’un pays malade, terriblement fragile, construit sur des apparences et des mensonges.

Rien à dire non plus sur le reste du Palmarès. Que ce soit les trois Ours d’argent attribués d’une part à Wes Anderson pour son délirant Grand Budapest Hôtel, d’autre part à Alain Resnais pour la facture très radicale de son délicieux Aimer, boire et chanter, et à Richard Linklater pour son saisissant Boyhood (chronique familiale tournée sur 12 ans!) ou encore le prix du scénario à Dietrich Brüggeman pour le seul film allemand acceptable de la sélection, Kreuzweg, le jury 2014 a vraiment mis en exergue les films les plus intéressants de cette édition. A l’exception peut-être des deux films argentins de la sélection, complétement absents du palmarès: Historia del Miedo de Bejamín Naishtat (dont j’ai déjà parlé) et La tercera orilla de Celina Murga, description sensible d’un jeune homme en rupture de ban, luttant contre le mensonge d’un père qui entretient deux familles à la fois. Mais là, ces deux œuvres étaient peut-être trop radicales pour enthousiasmer ce jury. Dommage.

A l’année prochaine!

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Dimanche, 16 Février, 2014 - 14:26
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Post-scriptum de Berlin: un Teddy pour le Suisse Stefan Haupt

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A Berlin, outre les prix décernés par le Jury officiel, il y a comme dans tous les festivals une ribambelle de prix parallèle décernés par les Ciné-clubs, les salles, des sponsors ou le public. Et parmi ces prix, il y en a un, en particulier, qui a acquis au fil des ans une valeur importante: le Teddy Award. Vous n’aurez pas échappé au côté ironique de son intitulé, au pays des Ours berlinois (rappelons pour les non-anglophones qu’un Teddy Bear désigne un ours en peluche).

En fait, il s’agit du prix décerné aux meilleurs films traitant de la question homosexuelle ou plus largement LGBT présentés au Festival, toutes sections confondues. Ce prix a été créé en 1987, ce qui en fait apparemment le plus anciens prix de ce genre décerné au sein d’un festival international. Et ce qui lui donne un prestige assez important.

Et bien, sonnez trompettes et roulez tambours, c’est le film suisse Der Kreis (Le cercle) de Stefan Haupt, dont je vous parlais il y a quelque jour qui a remporté le Teddy Award pour le meilleur film documentaire ou d’essai. Ce docu-fiction raconte avec brio l’histoire du premier «cercle» homosexuel fondé à Zürich durant la guerre, à travers un couple de témoins toujours bien vivants.

Le film a également remporté le Prix du Public du meilleur film documentaire présenté dans la section Panorama.

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Dimanche, 16 Février, 2014 - 14:48
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Post-Scriptum deux, de Berlin: les parias suisses de la Berlinale

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Désolé d’insister. Mais au moment de quitter Berlin pour retourner dans la mère patrie (romande), je ne peux pas ne pas en reparler.

L’écho du résultat des votations de dimanche dernier a résonné pendant toute la semaine dans les couloirs des salles et du marché du Festival de Berlin. Tous les Suisses présents à la Berlinale en ont fait les frais. Passe encore les plaisanteries du genre «Vous ne nous aimez plus?» lancées par les nombreux Européens au travail ici à Berlin. Mais il y avait aussi les craintes plus sérieuses évoquées par certains professionnels. Ceux qui disaient : «Faites votre demande, mais ce n’est pas sûr que cela marche, cela dépendra des décisions de Bruxelles...».

Les plus fortes inquiétudes, ici à Berlin, étaient liées au plan MEDIA (bientôt intégré dans le nouveau méga-programme Europe créative) qui est, pour les gens de cinéma, le sésame essentiel de notre intégration européenne. A la façon d’Erasmus pour les étudiants, MEDIA est un programme constitué en 1991 qui, au fil des ans, est devenu indispensable au cinéma en Europe. Ce programme aide à la production, à la diffusion, à la médiation culturelle, à la préservation, aux festivals, bref il intègre toutes les facettes de la création cinématographiques. Depuis 2006, après de longues négociations bilatérales, les Suisses bénéficie de plein droit de ce programme, ce qui signifie que pour le cinéma, nous sommes membres de l’UE. Cela facilite notamment les co-productions avec d’autres partenaires européens.

Il y avait déjà eu une alerte lors de la votation sur l’intégration de l’EEE en 1992. Son refus par le peuple avait entraîné l’expulsion systématique de la Suisse de différents petits programmes européens liés à l’audiovisuel… Avec tous les ennuis qui en ont découlé – et une longue période de purgatoire. Vus de l’UE, les Suisses étaient devenus pestiférés.

Aujourd’hui, tout le monde craint un remake de 1992. Une nouvelle expulsion. Si l’on consulte le site du Mediadesk suisse, on peut y lire le message suivant : «La participation de la Suisse à Europe Créative (programme successeur de Media, ndr) devra être réglée dans le cadre d'un accord bilatéral. Suite à l'adoption de l'initiative contre l'immigration le 9 février 2014, la Commission européenne a toutefois déclaré qu’elle "regrette que l'initiative pour l'introduction de quotas à l'immigration soit passée via cette votation. (…). L'Union examinera les implications de cette initiative sur l'ensemble des relations entre l'UE et la Suisse. Dans ce contexte, la position du Conseil Fédéral sur le résultat sera aussi prise en compte."La participation à Europe créative n’est donc momentanément pas possible pour les candidats suisses et dépendra de l’issue des négociations entre l’Union européenne et la Suisse.»   

Certains, en Suisse, considèrent que ce n’est pas si grave, au contraire. Notre présence dans MEDIA nous coûte au total un peu plus de 8 millions par année (chiffres 2012), et ne nous rapporte pas autant. Autant investir cet argent directement dans le cinéma suisse en Suisse. Cette logique purement économique ne tient pas compte de tous les avantages en terme d’image, de contacts, de liens internationaux qui sont générés par MEDIA pour les Suisses. Des centaines de projets en tout genre ont vu le jour grâce à cette présence en Europe de nos professionnels. Plusieurs films étrangers se sont tournés en Suisse en raison de cette liberté d’y travailler. Les producteurs suisses ont participé à de très nombreux films étrangers… 

Bref. Les professionnels suisses du cinéma présents à Berlin n’avaient pas le cœur à plaisanter. Ils étaient justement inquiets, et moroses. Devant sans arrêt expliquer notre système démocratique. La montée de l’UDC, le fossé Romandie, grandes villes, campagnes… Et peinant à justifier le triste résultat tessinois.

Le seul à sourire (jaune) de cette situation était le distributeur français du film de Jean-Stéphane Bron, L’expérience Blocher, qui sortira en France mercredi prochain. La votation du 9 février s’est transformée, involontairement, en un immense coup de pub. Tout le monde a envie de comprendre d’où vient ce parti qui parvient à interdire la construction de minarets et à fermer (en tout cas symboliquement) nos frontières. Ironique retour des choses… 

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Dimanche, 16 Février, 2014 - 17:47
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Drôle d’histoire: Im memoriam Beatrice

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J’ai reçu hier un mail d’une des plus célèbres journalistes cinématographiques espagnoles, Nuria Vidal, signalant un nouvel ajout de texte dans son blog. Un barco en el blog. Un bateau dans le blog. Ce titre étrange m’a intrigué et je suis allé lire son texte. Où apparaît une étrange photo et un texte non moins étrange.

Sur l’image, une sorte de mauvais polaroïd, on voit, côte à côte, Nuria Vidal à côté de sa collègue non moins célèbre, Beatrice Sartori, une vieille amie que j’avais, ces derniers temps, un peu perdue de vue. En lisant le post, je comprends que lors de la cérémonie d’attribution des Goyas (les Césars espagnols), il y a une semaine, cette photo a été montrée à l’écran pour illustrer la rubrique «Nos chers disparus». Nuria Vidal s’est mise à recevoir, à la minute suivante, mails et coups de fils pour vérifier qu’elle était toujours en vie. C’était comme un mauvais film, une erreur macabre lourde de conséquence de la part des organisateurs des Goyas – qui se sont d’ailleurs excusés par la suite. Mais c’est aussi comme ça que j’ai appris, moi, que l’autre femme sur la photo était, quant à elle, vraiment décédée… 

Beatrice Sartori est morte en juin dernier, subitement, d’une attaque cérébrale, à l’âge de 57 ans. Elle était, avec Nuria, l’une des journalistes espagnoles les plus connues au niveau international. Licenciée en Sciences politiques, ancienne collaboratrice de El País et de Telemadrid, Beatrice fut l’une des première journalistes de cinéma du pays à voyager dans le monde entier pour suivre festivals et premières – elle adorait notamment venir au Festival de Locarno. Petit à petit, elle était devenue LA spécialiste des interviews de stars, familière de Roman Polanski, Brad Pitt, David Lynch, George Clooney ou Harrison Ford. On raconte que lors de son premier rendez-vous avec l’acteur d’Indiana Jones, elle l’avait abordé en lui disant : «Moi je m’appelle Beatrice Sartori. Et vous ?…».

Pleine d’humour, pleine de vie, mère de Daniel qu'elle adorait, Beatrice Sartori travaillait pour le quotidien El Mundo. Jusqu’au jour où, réduction de personnel oblige, elle fut remerciée et se replia (entre autre) sur la presse électronique qui est aujourd’hui, en Espagne, la plus développée au niveau de la culture. La crise est aussi passée par la critique de cinéma. Elle vivait en Hollande depuis quelques années, mais écrivait toujours pour de grands magazines (El Cultural, Vogue, Fotogramas, etc.) et voyageait toujours à la rencontre des grands acteurs et cinéastes hollywoodiens.

Bref. Je n’avais pas su que Beatrice nous avait quittés. Je comprends mieux pourquoi, cette année, je n’avais pas reçu sa carte de vœux. Je remercie Nuria – et les Goyas – de me l’avoir fait savoir, par des voies détournées. Et je dis adieu à celle qui fut une amie du cinéma – et une amie tout court.

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Lundi, 17 Février, 2014 - 11:03
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Faux et usage de vrai

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La chute de M. Fernand de Louis Sanders n'est qu'une fiction. Mais qui se nourrit largement du réel. Ce Fernand Legras au large chapeau noir et au manteau en peau de gorille s'inspire généreusement du célèbre faussaire Fernand Legros qui défraya la chronique judiciaire dans les années 60 et 70. Comme lui, le personnage du roman a grandi en Egypte. Comme lui, il  commence par être danseur avant de s'acoquiner avec un habile complice qui lui peint par dizaines des "chefs-d'œuvre" que notre homme, devenu marchand, vend ensuite à de riches collectionneurs américains. Le succès toutefois ne dure guère, l'arnaque finit pas être découverte.

C'est à ce moment-là que commence le polar. Un tableau de mœurs acidulé qui décrit la décadence à la fois flamboyante et pathétique de Legras et de ses proches, tout en nous baladant entre Pigalle, l'appartement bourgeois d'un avocat véreux et une boîte louche des Champs-Elysées.  

Il faut être vraiment tordu pour vendre un vrai Dufy comme étant un faux. C'était pourtant bien ce que se propose de faire Fernand Legras afin de répondre à la commande pressante d'un mafieux corse. Et cela, visiblement, ne lui réussit pas. Peu après, on le retrouve mort dans la poubelle d'une arrière-cour parisienne, assassiné de dix-sept coups de pic à glace. Qui pouvait lui en vouloir à ce point? C'est ce que va tenter d'éclaircir le commissaire Cabrillac, un flic au passé lui aussi chargé.

 

 "La chute de M. Fernand". De Louis Sanders. Seuil, 229 p.

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Mardi, 18 Février, 2014 - 20:00
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Yves Saint-Laurent: pas pour le cinéma français.

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Assez réussi sur le plan de la beauté. Un assez beau film. Surtout les scènes de défilés, esthétique Renaissance, visages tellement inexpressifs et profonds. Ça se gâte quand il s'agit de back stage ou de dramaturgie, le scénario cherchant à mettre ce miracle visuel en relation avec son créateur. Création à une époque d'exceptionnelle créativité. Le acteurs sont plutôt bons.  Le problème, c'est la narration et la pauvreté des dialogues.

Quel est au juste le thème du film? L'irrésistible ascension d'un prodige universel, pied noir de son état? Biographique et plan plan. Ça s'arrête tout d'un coup quand ça devrait commencer, avec une notice venant rappeler que YSL a dominé la mode pendant cinquante ans, laissant une grande marque, et que l'on vient de voir un film publicitaire.

L'histoire est pourtant racontée comme si le gars allait disparaître à vingt-sept ans, au sommet de son art. Quelle frustration. Une histoire d'amour homo? Le portrait de la révolution culturelle golden age? Une chronique people? Comment devenir un grand génie? Les artistes et la drogue? La mode est-elle un art majeur? Comment articuler haute couture et prêt-à-porter?

De toute évidence, le phénomène Saint-Laurent n'est pas à la portée du cinéma français. Il eût au moins fallu Visconti. Un Visconti non allusif, version frouze recomplexée, modèle numérique autonome par rapport aux canons du XXIe rampant. Ça va se produire un jour. Le cinéma français n'est pas au bout de sa vie, il a juste touché le fond. On va vers le beau. YSL peut encore faire l'objet de vingt productions lumineuses.

Violence: strict minimum syndical (Y se retrouve quand même par terre, il aurait pu se casser).

Sexe: juste ce qu'il faut pour ne pas choquer le public (Saint-Laurent est une fierté nationale, l'homosexualité et l'homophobie une fracture honteuse).

Rabais flotte: vrai sujet d'étonnement, les rares bagnoles d'époque ne sont pas françaises.

A propos de Visconti: le prochain YSL grand écran est annoncé en octobre avec à peu près autant de stars locales de la scène. Et Helmut Berger dans un rôle non précisé (le sien probablement). A propos d'Helmut Berger: il n'a jamais cessé de jouer. Dans des citrouilles apparemment. Il aurrait même refait un Louis II, vieux et sans se forcer. On pourrait par exemple concevoir un long métrage rien qu'avec des scènes tirées de ces films, le montrant vieillissant d'apparition en apparition, à la poursuite de son autre et inaccessible soi-même.  

 

 

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Mercredi, 19 Février, 2014 - 22:42
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Nymphomaniac, Volume II

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Comme vous l’avez sans doute compris, je n’étais pas conquis par le volume 1 et donc pas acquis d’avance comme spectateur du volume 2. Mais voilà, MK2 a su me prendre par les sentiments  et l’avant première organisée par le producteur, les Films du Losange, en présence de l’élégiaque Charlotte Gainsbourg m’a convaincu d’aller voir cet opus 2. Première déception, elle est bien là mais semble indisposée, fait le service ultra minimum (1 minute de prise de parole) et chuchote à qui veut bien l’entendre qu’elle a été enchantée de sa troisième collaboration avec Lars avant de s’en aller. Je prends le pari qu’il n’y en aura pas de quatrième.

Deuxième déception, le film démarre sur le même carton où le cinéaste explique que ce n’est pas lui qui a eu le final cut et on reprend l’histoire où on l’avait laissée : même combat, même punition !

Chapitre 6 : The silent duck.

Joe fait l’amour mais n’arrive plus à jouir, elle n’éprouve plus aucun plaisir même en se masturbant. Elle se souvient alors de cet orgasme enfantin qu’elle a eu un après-midi dans un champ de blé et qui l’a transcendée au delà du réel dans une expérience quasi mystique faite d’apparitions. L’effet visuel est confondant de bondieuseries avec des icones religieuses, que Seligman affirme être le mal incarné, avec les traits de la nymphomane Messaline et la figure de l’enfant moqueur. Le ver est dans le fruit nous dit ce prêcheur et Joe ne pourra échapper à sa destinée de femme habitée par le diable.  A la naissance de son fils Marcel, engendré par négligence, elle entrevoit déjà la difficulté d’être une bonne mère en plus d’être une partenaire insatisfaite. Jérôme se résout par amour à donner à manger à « son tigre » en lui offrant un blanc seing pour baiser à satiété. Par un miracle incompréhensible, c’est le moment que choisi Lars Von Trier pour sustituer la jeune Stacy Martin par Charlotte Gainsbourg qui n’est plus dès lors uniquement la narratrice de sa propre histoire mais enfin l’actrice de sa propre métamorphose.

La séquence du dépucelage par deux blacks survitaminés qui s’invectivent dans un sabir peu convaincant me laisse de marbre entre deux phallus ébènes et turgescents qui se battent en duel face à la famélique et blafarde Joe qui préfère se retirer… L’obscénité guette et l’échelle des expérimentations va aller crescendo à la recherche de cette jouissance disparue au risque de tout perdre. Le passage par la case masochisme semble inévitable et Joe va découvrir le plaisir de la douleur sous les coups de K, Jamie Bell à contre emploi et qui fait merveille, tout en dureté et introversion de sa perversité envers les femmes. A son contact, Joe perdra son statut social et son ancrage dans la normalité. On évite de justesse le bis repetita de l’enfant, qui esseulé, tomberait de la balustrade dans un décor de nuit enneigée… La mauvaise mère n’a plus qu’à déserter le domicile conjugal. La séquence est déchirante tant elle ne montre rien mais suggère. C’est bien malheureusement la seule.

Je ne dévoilerai pas le pourquoi du sous-titre de ce chapitre qui sera lagement montré, commenté et imagé pour que je n’en révèle rien ici. 

Chapitre 7 : The mirror

Une chapitre mineur où une icône sulpicienne et un miroir narcisse dans la chambre dépouillée, suffisent à relancer la narratrice qui s’éssoufle et qui ne sait plus comment continuer sa longue litanie.

Joe qui cherche à guérir ce mal qui la ronge tente une  thérapie pour « sex addict » alors même qu’elle se définit comme « Nymph<>maniac » et finira par le revendiquer au moment où elle sent la tentative de contrer son désir en passe de fonctionner. Elle sera sauvée par la vision dans le miroir d’elle, petite fille, la rappelant à ses premiers amours et l’exhortant silencieusement à reprendre la parole et le pouvoir parmi ce groupe de femmes auxquelles elle ne s’identifie pas et qu’elle conchie. Symbole de cette force retrouvée, telle une virago, elle ira brûler une voiture ce qui fera dire à Lars-Seligman qu’elle a tout à fait la légitimité de s’émanciper et de vivre comme un homme… violent.

Cet onanisme pseudo-intellectuel dont nous gratifie le vieil homme pendant les deux volumes trouve son acmé dans cette séquence vaine et vide de sens. Quel est le propos ?

Chapitre 8 : The Gun

Le récit s’etiole encore et Joe finira par voir un revolver grâce à la tache de thé sur le mur (artifice narratif pauvre) qu’elle a « créée » tel un démiurge pour se sauver de ce mauvais pas.  Elle rentrera au service de L, interprété par William Dafoe, qui verra en elle une associée pour son sordide business qui lui redonnera un rôle actif dans l’horreur.

En mère putative et amante limite incestueuse, elle initiera son alter ego pour lui passer le relai et le fardeau dont P s’empare sans complexe aucun. Après avoir humilié Jean Marc Barr en le révelant à ses pulsions indicibles… elle finira chez Jérôme, son premier amour et assistera impuissante au cynisme en marche quand P prendra sa première mission à bras le corps.

Après nous avoir permis de boucler la boucle et de raccrocher l’enigmatique début, Joe dit son apaisement à Seligman qui l’a accouchée de son mal. Il (Lars ?) s’octroie alors le droit à son tour de goûter au désir dont il s’est privé en laissant ses plus bas instincts machistes prendre le dessus sur sa morale.

Le twist final n’en est pas un et le parti pris de filmer la dernière séquence dans le noir comme pour nous épargner « l’horreur délicieuse » d’un meurtre en dit long sur les intentions de ce lâche Lars qui au moment de disparaître préfère partir dans la nuit comme pour se cacher, honteux de ses propres névroses qu’il vient de nous imposer frontalement par le truchement de ses acteurs.

Lars Von Trier a pris le pari de nous résumer en quatre heures (voire plus pour la version longue non censurée) le désir féminin. Pourquoi pas mais c’est une véritable gageure d’autant que le postulat qui consiste à faire de ce désir une simpliste comparaison avec celui masculin me paraît un peu fumeux. Oui les femmes peuvent jouir comme les hommes, Oui elles peuvent sans doute aimer la sexualité brutale et l’explorer mais n’est-il pas réducteur de la cantonner à une escalade de tentatives  jusqu’à l’écoeurement. Je ne peux m’empêcher de penser à la poésie et à la force du tableau de Courbet : L’origine du monde comme plaidoyer masculin bien plus subtil pour tenter d’expliquer le mystère féminin.

La seule prouesse que je salue dans les deux opus, c’est finalement la phénoménale réussite de Lars Von Trier à embarquer dans sa prore psychanalyse une kirielle de talentueux acteurs qui se mettent nus et à nu offrant leur fragilité et leur faiblesse de femmes et d’hommes de chair. Louons cette direction d’acteurs et espérons vite qu’il expérimente à nouveau la complexité des rapports humains en posant un regard  de cinéaste apaisé sur les femmes et qu’il ne nous prenne pas en otage.

 

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Vendredi, 21 Février, 2014 - 14:42
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La fièvre du Quartz monte dans le cinéma suisse

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EddyMotion

Je conversais l’autre jour avec un ami cinéaste dont je tairai le nom (mais qui est connu du rédacteur, forcément) à propos de l’inattendu succès médiatique de L’expérience Blocher de Jean-Stéphane Bron en France, où le film vient de sortir. Quelque peu mouché en Suisse, boudé par le public alémanique, ce formidable documentaire politique est devenu, en France, LE film à voir pour comprendre la Suisse suite à nos récentes votations… Mais pas seulement. La critique française lui reconnaît de très grandes qualités de cinéma et une approche pour le moins courageuse de cet homme politique. Difficile pour nos amis français d’imaginer une telle intimité avec une Marine Le Pen!

Bref. Alors que la France glose donc sur le génie de nos cinéastes helvétiques (Les grandes ondes de Lionel Baier, sorti une semaine auparavant, est lui aussi encensé par la même critique française), la Suisse frémit de la fièvre des Quartz (les Prix du cinéma suisse) qui seront remis le 21 mars au soir dans le très bobo Schiffbau de Zürich, au sein du rénové Kreis 5 de la cité, quartier industriel reconverti à la culture et aux bureaux, entre les bien nommées Escher-Wyss Platz et Turbinenplatz.

C’est marrant, d’ailleurs… A Genève, les Quartz 2013 ont été remis l’an dernier au Bâtiment des Forces Motrices, magnifique édifice construit sur l’eau du Rhône, ancienne usine hydraulique reconvertie en salle de concert et de spectacle. A Zürich, c’est dans un ancien atelier de construction de bateaux, proche de la Limmat, que se déroulera cette 16ème cérémonie. L’eau et l’industrie. Tout un symbole. Mais lequel? La métaphore d’une industrie partie à vau-l’eau? L’expression de la fonte des glaciers, marquant la lente descente du Quartz alpestre vers les rivières et les lacs? La réalité d’un cinéma suisse descendu des Bergfilme (films de montagne) pour s’approcher des villes? La métaphore d’un cinéma helvétique qui prend l’eau? Ou qui rêve de fuir vers la Méditerranée ou la mer du Nord (la Limmat se jette dans l’Aar qui se jette dans le Rhin)? Je n’en sais rien. Mais toujours est-il que la symbolique industrielle et aquatique de ce lieu offre un décor chargé d’histoire(s) à cette attribution des Quartz devenue, aujourd’hui, un des moments-clé dans la vie de la «branche» cinématographique helvétique.

Les grandes ondes du côté de la fiction (avec Left Foot, Right Foot de Germinal Rouaux) et L’expérience Blocher du côté du documentaire (avec L’escale de Kaveh Bakhtiari) sont deux des films romands nominés pour la récompense suprême. Tous deux ont l’air de ne pas trop croire qu’ils sont en mesure de battre les poids lourds de la fiction alémanique (Der Goalie bin ig de Sabine Boss, adapté du roman homonyme de Pedro Lenz) ou du documentaire (Vaters Garten - die Liebe meiner Eltern de Peter Liechti). Je ne tenterai pas de pronostic. Mais j’ose espérer que, dans le secret des urnes électroniques, les votants de l’Académie du Cinéma sauront reconnaître – comme la France semble le faire – que les films si internationaux de Jean-Stéphane Bron ou de Lionel Baier méritent bien une reconnaissance nationale.

Post-scriptum: pour ceux qui n’auraient pas vu tous les films candidats aux Quartz 2014, les Cinémas du Grütli proposent une semaine de rattrapage du 17 au 23 mars. Profitez-en! Pour en savoir plus, cliquez ici !

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 10:56
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Quand dire OUI veut dire NON | A propos de la votation du 9 février "Contre l'immigration de masse"

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HEAD - Genève, Baptiste Coulon

Depuis le 9 février dernier et le OUI apporté, à une très courte majorité, par le peuple suisse à l’initiative «Contre l’immigration de masse», nous savions, entre autres conséquences, l’affiliation de la Suisse à l’espace européen de l’enseignement supérieur gravement menacée.

La Commission européenne a officiellement confirmé cette semaine que la Suisse ne participerait plus aux programmes Horizon 2020 (recherche) et Erasmus+ (pour l’essentiel, échanges académiques, d’étudiants et de professeurs, stages de formation professionnelle). Cette exclusion sera effective dès l’automne prochain.

Il faut en cette matière être d’une honnêteté scrupuleuse. Et, plutôt que s’en tenir au mot «exclusion», préciser que la Suisse sera dès lors traitée non plus en tant que pays associé, mais en tant que pays tiers. C’est-à-dire en réduisant drastiquement ses possibilités de participation, au prix de conditions financières défavorables et nous privant de toute capacité d’initiative pour les échanges académiques, le dépôt et la conduite de projets de recherche européens.

Or, les Hautes écoles suisses ont, au cours des dernières années, joué un rôle éminent dans ces domaines, qui a contribué à les placer au premier rang, envié et scruté de toutes parts, formidablement attractif, de l’espace européen et international. Ces succès parfois spectaculaires, dont il n’est pas nécessaire de souligner davantage les enjeux, sont aujourd’hui en danger.

Là encore, ne cédons pas aux outrances qui ne servent personne. Le Conseil fédéral «travaille à la recherche de solutions», les cantons se mobilisent, les Hautes écoles sauront faire preuve de créativité… Le pragmatisme suisse l’emportera et je ne doute pas que l’essentiel soit sauvé.

Mais cela aura un prix, lourd sans doute.

Un prix financier tout d’abord: la Suisse paiera plus pour préserver la possibilité, vitale, de participer moins, dans une position marginale qui la privera de sa capacité d’initiative et de son pouvoir de décision.

En second, cette décision ouvre une période – dont nul ne peut dire quand elle s’achèvera – d’incertitudes et de craintes profondes, déstabilisant l’ensemble de l’enseignement supérieur et nous contraignant à l’immobilisme puisque, en l’attente de ces solutions qui restent à trouver, face à une Europe qui vient de confirmer son intransigeance, nous ne pouvons faire beaucoup mieux qu’attendre, espérer (ou ne pas désespérer), protester et appeler à un sursaut, comme viennent de le faire, parmi bien d’autres, les responsables des Hautes écoles spécialisées et les membres de leur conférence faîtière, ou, à leur manière, activiste, pertinente et drôle, le groupe d’étudiant-e-s de la HEAD – Genève, organisateur d’un banquet urbain intitulé Border Line et dont la longue tablée des convives se trouvait, de manière arbitraire, séparée par un grillage empêchant que l’on se passe les plats, très inéquitablement distribués de part et d’autre.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, on imagine les dégâts d’image qu’a produits cette décision et la consternation que l’Europe de l’enseignement renvoie à nos Hautes écoles en général, aux Hautes écoles d’art et de design singulièrement, pour lesquelles l’espace international, multiculturel est une exigence intrinsèque, tandis que l’ouverture à l’autre et l’hospitalité constituent pour l’entier de l’enseignement tertiaire une valeur fondatrice et une exigence catégorique.

En dépit des regrets et remords qui s’expriment de toutes parts face à une votation dont les enjeux ont été mal perçus, la décision populaire est souveraine. Il n’est cependant pas illégitime de se demander comment on a pu en arriver à un choix aussi stupéfiant face aux intérêts objectifs du pays. Tout a été dit des difficultés sociales – crise du logement, des transports, chômage ou dumping social dans certains cantons – qui font invariablement le lit de ces votes de rejet. Ou encore du trouble identitaire, notamment de cantons ruraux, pris cependant, fût-ce de loin ou à travers la lucarne médiatique, dans les chaos de la mondialisation, qui attise cette expression protestataire. Rien non plus à ajouter sur la façon dont un parti en Suisse, comme d’autres en Europe, prospère en exaspérant les craintes, en stimulant la nostalgie d’antan pour réactiver les pires archaïsmes, en flattant les réflexes de repli et de rejet. Mais cela ne suffit pas.

Dans un ”post” récent intitulé «Triomphe de l’embuscade», Stéphane Benoit-Godet avance pertinemment l’excès d’usage de la démocratie directe à travers ses votations: «… nous sommes sollicités beaucoup trop souvent pour avoir quelque chose d’intelligent à exprimer à chaque fois. Et sur un marché où le consommateur est saturé par des messages calibrés et techniques, ceux qui pratiquent l’ "ambush démocratie" l’emportent. Le citoyen se fait alors piéger par les arguments faciles du marketing politique qui font appel aux peurs et aux sentiments les plus primaires».

Une remarque à ce propos qui ne me paraît pas anodine. La quasi totalité de ces initiatives appellent le peuple à s’élever contre. Contre un projet ou un acquis sociétal. Contre le remboursement de l’avortement, contre l’immigration dite de masse, etc. Or il est infiniment plus aisé de rallier ce que j’appellerai le cartel des NON, c’est-à-dire toutes celles et ceux qui ont une «raison» de dire NON – fût-elle très partielle, ou de l’ordre de la défiance spontanée, de la crainte, du goût personnel ou du fantasme – que ceux qui doivent trouver toutes les bonnes raisons ou, somme toute, une raison suffisante de dire OUI, a fortiori au titre d’une vision politique ou du bien commun. Réagir contre est spontanément moins risqué et intellectuellement moins «coûteux» que l’effort de projection et l’acte d’adhésion que requiert la capacité à dire OUI et à s’engager pour. Il faut à cet endroit relever une manipulation, aussi simple que retorse, assurément efficace, dont usent communément ces initiatives récentes: appelant à s’opposer contre, à dire non par conséquent, elles sont pourtant formulées positivement. Dans ce schéma binaire, pour / contre, OUI / NON sur lequel se fonde chaque votation, le peuple est ainsi appelé, pour s’opposer à tel projet ou telle réalité, à voter OUI. Paradoxe assez raffiné, sinon pervers, que de s’opposer ou de refuser tout en paraissant produire un geste positif.

Suite à cette désastreuse votation du 9 février 2014, il y a de toute évidence une réflexion à mener sur les mécanismes mêmes, non seulement politiques, mais encore psychologiques et rhétoriques, de cette dangereuse captation de la démocratie directe.

Jean-Pierre Greff, directeur de la HEAD - Genève

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Vendredi, 28 Février, 2014 - 13:15
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Azéma & Resnais: l'amour à mort

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Alain Resnais n'était donc pas immortel. En attendant un article à lire dans notre édition de jeudi, je vous propose un entretien avec son épouse et muse Sabine Azéma, rencontrée à Cannes en mai 2012 à l'occasion de la présentation sur la Croisette de «Vous n'avez encore rien vu».

 

Sabine Azéma a rencontré Alain Resnais pour la première fois au début des années 80, au moment où celui-ci lui proposait un rôle dans La vie est un roman. La rencontre fut telle que le cinéaste lui propose instantanément de jouer dans son film suivant, L’amour à mort (1984). Puis viendront Mélo (1986), Smoking/No Smoking (1993), On connaît la chanson (1997), Pas sur la bouche (2003), Cœurs (2006) et Les herbes folles (2009). Resnais est fidèle aux acteurs qu’il aime, à Sabine Azéma, donc, mais aussi à Pierre Arditi, Lambert Wilson et André Dussolier. A l’exception de ce dernier, il les a d’ailleurs retrouvés pour Vous n’avez encore rien vu, un film au titre programmatique et parlant avec une virtuosité rare - il s’est même permis de recourir à quelques effets spéciaux - de son amour pour le théâtre et le cinéma, mais aussi, surtout, pour ceux qui, film après film, pièce après pièce, se glissent dans la peau de personnages les plus divers: les comédiens.

Les premières minutes de Vous n’avez encore rien vuévoquent la mort d’un metteur en scène. Forcément, lorsque Sabine Azéma et Pierre Arditi - qui sont cités nommément - apprennent ce décès, on pense à Resnais, qui vient de fêter son nonantième anniversaire et dont on se dit, à chaque film, qu’il s’agit peut-être de son dernier. Lorsqu’on parle de cette dimension testamentaire à Sabine Azéma, 63 ans, qui a prolongé la complicité artistique qui la lie à son aîné en l’épousant en 1998, elle blêmit et nous prend par le bras: «Mais je ne veux pas, arrêtez, vous allez me faire pleurer... Bon, nous allons tous mourir et on ne sait pas quand; on n’a ni l’heure, ni la date, il n’y a pas de chronologie là-dedans. Mais le mot “testament” est abominable, c’est l’enfer. Bien sûr que c’est un homme d’un certain âge qui a fait ce film, et qu’il a quelque chose qu’on n’a pas, qu’on ne connaît pas. D’autant plus que les personnes qui travaillent encore à cet âge ne sont pas très nombreuses sur cette terre. Mais Resnais est hors norme. Sur le tournage, qui a eu lieu dans un énorme studio et non dans une chambre avec un lit et trois chaises, il a dirigé une quarantaine de personnes. C’était lui le chef. Et là, il est à Cannes. Vous vous rendez compte de sa vigueur… C’est un champion, comme un coureur aux Jeux olympiques. Sauf que lui, c’est un cerveau.»

Sur la terrasse du grand hôtel cannois où elle nous a reçus en mai dernier, Sabine Azéma a beau évacuer la dimension testamentaire de Vous n’avez encore rien vu, comme d’ailleurs Resnais lui-même, qui en conférence de presse avouait qu’il n’aurait jamais eu le courage ni l’audace de tourner ce film s’il pensait qu’il puisse s’agir d’un testament, elle ne rechigne néanmoins pas à parler de son rapport à la mort. «Pour moi, il y a toujours résurrection. En tournant, j’ai beaucoup pensé à L’amour à mort, où j’allais rejoindre l’homme que j’aime dans la mort. Là, c’est Orphée qui me rejoint. C’est peut-être de la poésie, mais ça fait accepter l’idée de la mort, si moche et si brutale pour nous; ça donne de l’espoir. On se dit qu’il y a un au-delà, qu’il existe un mystère. Mais c’est pour moi quelque chose de païen, il n’y a pas de religion là-dedans. J’ai invité, à la projection officielle du film à Cannes, des amis qui viennent de vivre un deuil très violent, celui de leur fils. Je n’aurais pas dû les inviter, c’est trop dur, pourquoi j’ai fait ça, me suis-je dit pendant le film. Après la projection, ils étaient en pleurs, forcément. Eh bien même si leur enfant est mort il y a trois mois seulement, ils m’ont dit que ça leur avait fait du bien, parce qu’on est dans le mythe, on sublime la mort, qui du coup devient moins laide grâce à l’art. A chaque fois que Resnais me propose un film, je ressens d’ailleurs une sorte d’immortalité. Un film, c’est une image arrêtée pour toujours, c’est mort, mais en même temps c’est là pour l’éternité.»

Resnais, Sabine Azéma l’a d’abord découvert en spectatrice. «J’étudiais au Lycée Carnot, à Paris, et parmi nos professeurs il y avait le neveu de Pierre Fresnay. Et il se trouve que ce neveu avait joué dans Muriel. Je devais avoir 16 ans et, évidement, je ne connaissais pas ce réalisateur dont il nous parlait avec la même passion que moi aujourd’hui. Avec mes copines, on est allées voir le film et ce fut le premier choc de cinéma de ma vie. Je n’ai sûrement pas tout compris, mais j’ai senti qu’on essayait d’aller vers quelque chose de beau, comme la belle littérature. Si j’avais su à ce moment-là que j’allais être plus tard agrippée par Resnais… C’est dingue, ça me fascine toujours. Je n’en reviens pas d’avoir été choisie par un homme pareil. J’ai choisi ce métier afin de jouer dans des films que je trouve beaux, et là je suis comblée. Il m’a appris tellement de choses sur l’art, la musique. C’est un homme qui m’émerveille.»

Même si elle partage la vie du cinéaste, Sabine Azéma ne découvre pas ses scénarios en primeur. «Il ne me parle d’un projet que lorsqu’il est sûr de le réaliser. Il dit parfois: “Ah, j’ai une idée.” Mais il attend de la mettre au point avant de m’en parler. Et je patiente. Avec lui, c’est comme au théâtre: on attend les trois coups. Et après, allez hop, il ouvre le rideau et il nous présente sa nouvelle idée.»

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Lundi, 3 Mars, 2014 - 11:15
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Alain Resnais, une révolte contre l'oubli, contre la mort....


Avis de disparition!

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Fringuant professeur à Lanford College, Jake Fisher a perdu la femme de sa vie six ans plus tôt. Le jour où, brusquement, elle lui annonce qu'elle se marie avec un autre. Il ne s'en remet pas, mais il a promis à Natalie de la laisser tranquille. Une promesse qu'il va respecter jusqu'à ce qu'il découvre, par hasard, une notice nécrologique annonçant le décès de Todd Sanderson, le mari de sa belle. Ainsi commence, parfaitement orchestré et efficace, Six ans déjà du célèbre auteur de polars américain Harlan Coben.

Reprendre contact avec Natalie semble facile. Il suffit de se rendre à l'enterrement de son mari. Jake n'imagine pas alors quelles tragiques conséquences aura ce petit voyage à Savannah.  Non seulement la jeune veuve n'est pas Natalie, mais son existence même semble avoir été effacée d'un grand coup de gomme. Et quand Jake s'entête, on s'en prend physiquement à lui, avec la plus féroce des cruautés. Dans quoi diable a-t-il mis les pieds? Et qu'elle est cette mystérieuse organisation baptisée Nouveau Départ?

Sans grands effets stylistiques, mais avec un sens aigu du suspense et du dialogue, Harlan Coben nous tient en haleine de bout en bout. Jusqu'à la dernière page, on ignore ce qu'a bien pu faire Natalie pour devoir disparaître. Et bien sûr ce qu'il adviendra de cet amour fou, mais apparemment maudit. Vous l'aurez compris, Six ans déjà fait partie de ces livres qu'on dévore en une nuit. Hâtez-vous, elles sont en train de raccourcir!

 

"Six ans déjà". De Harlan Coben.

                                       Traduction Roxane Azimi. Belfond, 368 p. 

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Mercredi, 5 Mars, 2014 - 10:31
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Suki

Richard III: la dimension manquante

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A moins de voir un Shakespeare toutes les trois semaines, Richard III est un événement auquel il faudrait bien plus d'une réalisation pas top pour décevoir vraiment. Richard III à Lausanne-Vidy, c'est un grand moment (à défaut d'en être un immense), même si la distribution et la mise en scène n'atteignent que les deux tiers du potentiel.

D'abord parce qu'il n'est guère possible de se contenter du texte (genre: autant lire la pièce que voir cela): le théâtre populaire de l'époque était écrit à partir du jeu. On entre dans un Shakespeare au contact de la scène, pas dans la lecture. Il faut aller voir Shakespeare sans attendre que toutes les mises en scène soient à la hauteur de ses monuments (sans trop croire non plus qu'elles le furent lors de leur création au XVIe siècle).

Il y a ensuite de très bonnes choses dans cet essai,et aucun acteur n'est mauvais (Dieu merci). Le kitch des grands classiques ayant traversé les siècles est assez bien assumé (un Shakespeare sans kitch est un Shakespeare fadasse). La distanciation est très mesurée, sans abus d'artifices, de gadgets, d'actualisations mièvres et stériles.

Ce qu'il manque dans ce Richard III, c'est l'ambivalence fondamentale de l'humanité et des humains. L'ultime génie de Shakespeare, c'est d'avoir concentré le bien et le mal dans les mêmes personnages et les mêmes situations.

Le duc de Gloucester commence par expliquer sa mission. Elle consiste à venger tous les êtres qui n'ont pas été épargnés par la nature ou la malchance, en instrumentalisant à l'extrême le mal dont ne se gênent pas d'abuser celles et ceux qui sont si bien nés (comme vient le rappeler la reine Marguerite).

Le monstre n'est pas complètement cynique lorsqu'il séduit la princesse Anne après avoir fait assassiner son père et son mari. Il lui demande en quelque sorte la reconnaissance d'un bon fond, de son triste sacerdoce, du respect dû au mal satanique destiné à punir les hypocrites de la bienfaisance, de cette immoralité délibérément endossée dont la souffrance induite ne quittera jamais son auteur (l'humanité ne quitte jamais complètement l'humain).

Lady Anne est vraiment séduite. Elle n'est pas seulement contrainte, victime de son devoir de soumission. Richard III est un vrai héros shakespearien, à grande complication, qui doit finalement émouvoir le public malgré son profil de grand comploteur, de tueur compulsif, ce qui ne se produit malheureusement pas à Vidy.

La victoire finale sur le tyran tourne le royaume vers l'avenir en tirant un trait sur le passé. Le mal laisse un champs de ruines sans avoir triomphé. Mais la mort de Richard est aussi un soulagement pour lui-même, une récompense. Même l'enfer lui sera préférable.

Les préparatifs de la bataille, l'issue programmée du combat réparateur trahissent cruellement les limites de la mise en scène de Laurent Fréchuret. Ces instants tant attendus ne devaient pas seulement apparaître comme un dénouement, mais comme un grand final cathartique. On assiste au contraire à une extinction lente du récit et du jeu. Il y a mille stylistiques pour mettre en scène le chaos des batailles, on peut toujours en inventer de nouvelles, avec de nouveaux décors. Mais pas le ballet insignifiant et obstiné des vieilles tables à tiroirs... 

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Dimanche, 9 Mars, 2014 - 20:52
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Si même Poutine recule devant la guerre

Les super-héros sont fatigants. Ha bon, pourquoi ?!

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Audrey Piguet

Les super-héros sont partout : au cinéma, dans nos librairies, sur nos affiches publicitaires, sur les étals de nos magasins ; ils prétendent même s’exposer dans nos musées (New York, Paris, Suisse romande). Omniprésence fatigante et agaçante, à l’instar peut-être du Salon de l’auto, du foot, des salades bio, de Brad Pitt ou des particules fines.

Mais que nous révèle cette avalanche de super-héros quant à l'état de notre imaginaire ou celui de notre société ? On peut certes s'offusquer de leur omniprésence autour de nous, mais le rasoir d'Ockham nous offre une voie plus intéressante : si les super-héros sont si présents, c'est parce qu'ils nous disent quelque chose de fondamental sur la condition humaine actuelle. Or, comme tous les sujets sérieux, les super-héros ne dévoilent pas leur symbolique et leur rôle anthropologique au premier coup d'oeil : nous devons nous arrêter sur eux et nous donner la peine de les penser patiemment.

J'organise dans dix jours à la Maison d'Ailleurs une exposition intitulée "Superman, Batman & Co... mics !", qui offre aux visiteurs la possibilité de faire dialoguer art contemporain, culture populaire et tradition historique du comic book dont sont issus les super-héros que nous connaissons … en partie. En sa qualité de lieu de culture, un des rôles de la Maison d'Ailleurs est d'offrir un point de vue artistique, décalé et singulier sur des phénomènes contemporains ; ce faisant, la Maison d'Ailleurs permet à ses visiteurs d'interroger ce qu'ils n'interrogent pas souvent. En effet, qui parle, aujourd'hui, de la symbolique des super-héros ? Qui se demande pourquoi ils portent un insigne qui, généralement, a partie liée avec leur traumatisme originel ? Qui se questionne sur la créativité artistique à laquelle ils donnent si souvent naissance (nous avons par exemple travaillé avec les étudiants de l'Ecole d'Arts Appliqués de La Chaux-de-Fonds qui se sont emparés avec intelligence et merveille du thème... des super-héros) ? Qui s'interroge sur les rapports se tissant entre ces surhommes fragiles et notre quotidien frénétique ? Et, enfin, pourquoi personne ne semble les étudier en vue de mieux saisir nos plaintes systématiques de "devoir être des super-héros" ?

En un mot comme en cent, il me semble que les super-héros, aujourd'hui, font partie du bien commun, voire du patrimoine culturel, occidental - mais aussi, en raison de leur symbolique… de celui de l'humanité. Oui, dénier cet état de fait, c’est faire fi des mythes qu’ils engendrent. Alors, débarrassons-nous de nos préjugés et commençons à penser les Superman, Batman & Co. Intelligemment. Sérieusement.

Dans tous les cas de figure, et Paris ou New York semblent avoir la même envie, la Maison d'Ailleurs a choisi de les penser avec rigueur et de vous proposer le résultat de son analyse dès le 22 mars 2014 à Yverdon-les-Bains. Et vous, voulez-vous comprendre ce que nous disent véritablement les super-héros ? Voulez-vous comprendre pourquoi nous sommes tous - toujours - si exténués d'essayer d'être, en vain, des super-héros ?

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Jeudi, 13 Mars, 2014 - 12:47
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